Le 5/6/2000
Isaac Johsua à propos de l'ouvrage de Jacques Bidet :
Isaac Johsua est l'auteur des ouvrages
suivants :
La crise de 1929 et
l'émergence américaine , 1999, PUF, Actuel Marx Confrontation.
La face cachée du Moyen Age. Les premiers pas du capital , 1988, La Brèche.
Les retraites au péril du libéralisme (en collaboration), 1999, Syllepse.
J'ai lu, avec beaucoup d'intérêt, la Théorie générale de Jacques Bidet (PUF, 1999, Actuel Marx
Confrontation). Au fil de la lecture, j'ai été amené à faire un certain nombre de
commentaires ou à émettre des réserves. Ce sont ces réactions " à
chaud " que je communique ci-dessous, sans autre prétention. On trouvera, à
chaque fois, le numéro de la page, puis la citation entre guillemets, et enfin mon
commentaire entre parenthèses. Je reviens souvent sur les mêmes points, il y a donc
d'inévitables redites.
page 30 : " l'accord
interindividuel qui forme marché et l'accord central qui peut former plan "
" l'alternative entre marché et organisation se retrouve à tous les niveaux de
l'édifice social " (on comprend bien ici ce qu'est le marché, mais qu'est-ce
que l'organisation ? Il est dit : " ce qui est accordé à la
détermination du centre est retiré à la détermination inter-individuelle
marchande ". J'en déduis : détermination du centre = organisation.
L'organisation apparaît ici comme antinomique au marché. Mais les rapports
marchands " pénètrent l'organisation ", comme tu le dis si bien
toi-même: c'est certainement le cas pour la firme, cela peut être le cas pour le plan.
La logique de la firme est celle du commandement hiérarchisé, contradictoire en
apparence à la logique du marché, mais ce commandement, ses formes, sont eux-mêmes
subordonnés au marché, qui " remonte " les canaux de la firme. Au
total : les différences de fond entre organisations sont telles qu'on peut se
demander si on est bien ici en présence d'un concept commun, qui aurait simplement
diverses formes d'existence).
page 56 : Troisième critère du
travail : rationalité propre, qui est celle de l'économie de temps
(Cela est vrai du travail sous la domination du
capital, beaucoup moins vrai du travail sous les autres modes de production : le
travail n'est pas alors entièrement séparé des autres activités (ce qui est dit page
57) et le temps occupé par certaines de ces autres activités (religieuses,
communautaires, par exemple) viennent se confondre avec le temps de travail lui-même. Les
membres de la tribu qui dansent avant de partir à la chasse ont-ils une activité de
travail, ludique ou religieuse ? Impossible de faire la séparation : nous
sommes face à une activité " autre ", unifiée, etc. Tu parles page
96, à propos du travail, d'effort ou de dépense. Tu rajoutes : " La
notion de " dépense " implique en elle-même celle d'une
économie : une économie de l'usage de soi... c'est-à-dire de son temps pour un
résultat donné ". Cela suppose qu'une distinction se soit introduite, qui
sépare nettement le temps de travail de celui consacré aux autres activités. Cf. aussi
Marx qui, dans " L'Idéologie Allemande " parle de
" l'asservissement débonnaire " du maître-artisan du Moyen Age à
son activité, qui fait qu'il ne compte pas son temps, pas plus qu'il n'est capable de
déterminer avec précision le " résultat donné " qu'il veut
obtenir. La présence d'un tel " résultat donné " suppose une
production standardisée et surtout les pressions d'un marché qui compare entre eux les
travaux et leurs résultats.
Par ailleurs, s'il est vrai qu'aucun régime
social ne peut se désintéresser de l'économie de temps, cette dimension occupe une
place très différente dans l'Histoire, comme j'ai essayé de le montrer dans
" La face cachée du Moyen Age ". La recherche de l'économie de temps
sera très peu présente, par exemple, sur le grand domaine esclavagiste. L'esclave
n'y a aucun intérêt, mais le maître guère plus, car il faudrait consacrer des
ressources à l'amélioration des outils : à quoi bon, puisque la main-d'oeuvre
n'est pas payée (alors, pourquoi l'économiser ?), et que les esclaves détruiront
très vite tout équipement quelque peu sophistiqué, par sabotage conscient,
indifférence, etc.
Cela ne veut pas dire que le travail ne se
modifie pas sous ces régimes pré-capitalistes : l'artisan du Moyen Age (j'ai
également essayé de le montrer) accordera peu d'importance au gain de temps (du fait,
entre autres choses, des pressions des corporations), mais le travail changera quand
même, en ce qu'il donnera naissance à de nouvelles valeurs d'usage ou au
perfectionnement des anciennes. Il pourra aussi avoir pour résultat le perfectionnement
du producteur lui-même.).
page 58 : (Le travail a-t-il " un
caractère historiquement décisif comme mode d'activité ? ".
L'affirmation marxiste correspondante porte sur la place centrale des rapports de
production, ce qui n'est pas la même chose).
pages 74,75 : (J'ai les doutes les plus
séreux sur la portée explicative de la " théorie des coûts de
transactions ". Tu sembles reprendre à ton compte la réponse de Coase à la
question " pourquoi y a-t-il des firmes ? ", à savoir :
parce que le marché ne peut suffire, parce que les coûts d'une transaction purement
marchande seraient infinis. Comme tu l'indiques toi même, cette présentation pose
implicitement la primauté de la relation marchande).
page 89 : (Marx définit-il vraiment le
socialisme comme une généralisation de l'organisation, libérée du marché ?
Sacré problème, car, qui dit organisation ne dit pas nécessairement (loin de là)
association de libres producteurs).
page 96 : " Le travail étant
socialement divisé, cette économie (de temps) s'inscrit dans l'horizon d'un
" temps socialement nécessaire ... " (Le " temps
socialement nécessaire " s'impose comme une norme sociale dans un univers de
marché. Pourquoi en serait-il de même sous les autres régimes sociaux ? Une grande
dispersion devrait alors logiquement prévaloir, puisque, sous de tels régimes, les
producteurs ne confrontent pas leurs travaux (et, par leur intermédiaire, leurs temps)
sur un marché).
page 100 : Le capitalisme
" détourne (le travail productif) de l'usage social...par la constitution de
besoins illusoires et manipulés " (Les besoins ne sont ni illusoires, ni
manipulés : dans un système de marché, ils existent au même titre que les autres
besoins, du moment que les biens correspondants sont achetés. La critique porte
sur : 1) si le corps social pouvait se prononcer, il n'établirait très probablement
pas la même hiérarchie de besoins à satisfaire 2) le capitalisme ne recherche pas la
production, mais le profit. Il ne produit qu'à son corps défendant, quand il ne peut pas
faire autrement pour faire des profits. Mais, dès qu'il le peut, il se précipite dans la
brèche (exemple : bulle spéculative boursière, etc).
pages 116 et suiv. : (Je suis très gêné
par tes développements sur " la nation ". Je ne crois pas du tout que
l'existence d'une nation soit une question " d'efficacité ", comme tu
le laisses entendre. Tu dis page 118 : " l'heure n'a pas sonné d'un ordre
étatique universel, (car) les conditions d'une organisation efficace à l'échelle
globale n'existent pas encore ". De quelle " efficacité "
s'agit-il ? Quelle est sa norme ? Qui la dicte ?).
page 120 : (L'Etat est désigné comme une
" organisation ". Ce qui n'a rien d'étonnant, mais rend d'autant plus
difficile l'appréhension de ce qu'est une organisation face (et en opposition) à la
sphère marchande. Peut-on mettre dans le même panier Etat, firmes, etc ? On a le
sentiment, à te lire, qu'est organisation tout ce qui n'est pas marché. Est-ce bien le
cas ? Si oui, on est face à un vide, la sphère de l'organisation n'étant définie
qu'en creux).
page 181 : " ...marché et
organisation, ces deux modes polairement opposés de la coordination
rationnelle... ". Page 195 " Axe marché-organisation "
(C'est là un thème central de l'ouvrage. Et pourtant
" l'organisation " n'est jamais définie. Au mieux, elle l'est comme
étant le non-marché. Ce qui est manifestement tout à fait insuffisant. Qu'est-ce que
" l'organisation " comme rapport social ? Peut-on, de ce point de
vue, mettre dans le même sac des choses aussi diverses que l'Etat, la firme, les
institutions, le plan, etc ? Les économistes ne s'interrogent jamais à ce sujet, ce
qui n'a rien d'étonnant, car ils se contentent en général de manier des réalités
purement empiriques).
page 195 : (Je suis très réticent à
l'idée de " reprendre la question des classes à partir de la théorie des
coûts de transactions ". Encore une fois, admettre que " ce qui dicte
le choix entre marché et organisation, ce sont les coûts de transaction ",
cela revient souvent à admettre (je l'ai constaté dans mon domaine) que le rapport
marchand est le rapport premier, naturel, car " le plus
efficace " : ce n'est que quand son inefficacité est dûment constatée
que place est laissée à la firme. Cette théorie est un prolongement de la théorie
néo-classique, en ce que, accordant la place centrale au marché, (comme quelque chose
qui va de soi, de naturel), elle explique le reste par les
" imperfections " du dit marché: ce qui est une concession qui
ne coûte rien, puisque personne n'est parfait...).
page 197 : " Les 30 glorieuses
apparaissent alors comme le moment culminant du procès de rationalisation sociale
généré par cette révolution managériale " (Je te signale que je développe
une explication tout à fait différente de ces fameuses 30 glorieuses : j'avance
pour ma part l'hypothèse que la force de l'expansion alors constatée s'explique comme
étant celle d'une phase de rattrapage. Deux guerres mondiales et une grande crise
(celle de 1929) ont entraîné énormément de destructions, d'usure et de
non-renouvellement du capital fixe, ainsi que, parallèlement, de grands retards de
consommation accumulés. Je pense que, dès que, à la fin de la guerre, les conditions du
redémarrage de l'activité ont été enfin réunies, l'essor a été très vif, alimenté
par ces demandes, par la possibilité d'importer l'avancée technique déjà acquise par
les Etats-Unis et par l'existence de nombreuses occasions rentables d'investir,
elles-mêmes suscitées par l'élimination d'énormes masses de capital. Je suis en train
de terminer la rédaction d'un article sur ce sujet).
page 206,207 : (Peut-on parler de la
qualification comme d'un capital, en dehors d'une simple facilité de langage ? Le
capital est la mise en valeur de la valeur, qu'est-ce que la qualification par rapport à
ça ? Par ailleurs, est-il possible de placer capital et qualification sur un même
plan ? N'est-il pas évident que la qualification est subordonnée au capital, et que
ce dernier la définit et remodèle selon ses besoins ? Enfin, si l'Etat joue un
rôle important en matière de reconnaissance et de distribution des qualifications, il
est loin d'être le seul : la firme joue aussi un rôle important. Par son
intermédiaire, le capital peut défaire, en matière de qualification, ce que l'Etat a
fait : rejet de telle ou telle formation, licenciements, maintien au chômage de
qualifications désormais considérées comme inutiles, en quelque sorte considérées
comme nulles et non avenues, etc. Cf. d'ailleurs page 215 de ton ouvrage).
page 208 : " les deux fractions
polaires de la classe dominante, marchands-propriétaires et organisateurs-qualifiés, ce
dernier terme étant à prendre au sens le plus large... ce qui inclut toute catégorie de
" cadre " ou de " fonctionnaire " (Peut-on dire
que tous les cadres (et, pire encore, tous les fonctionnaires) font partie de la classe
dominante ? Certainement pas. On voit bien ici que les catégories utilisées posent
un problème de fond : les " organisateurs-qualifiés " sont-ils
autre chose que des serviteurs de la classe dominante, sans doute bien payés, mais
serviteurs quand même ?).
page 263 : " Ce n'est pas du
côté des " rapports sociaux ", mais du côté de la mutation des
" forces productives " qu'il faut chercher le principe des
révolutions historiques " (Ayant lu mon bouquin sur le Moyen Age (avec une
attention dont j'ai pu trouver la trace dans ton ouvrage, ce dont je te remercie), tu sais
que je suis en désaccord avec cette thèse : d'ailleurs, les " forces
productives " peuvent-elles être simple technique ou simple matière
modelée ? La réponse est non, bien évidemment : ces forces se développent
sous la domination des rapports sociaux, elles en portent l'empreinte, en expriment la
réalité toujours présente. Elles ne peuvent donc fournir " le principe des
révolutions historiques ", principe qu'il faut plutôt chercher, à mon avis,
du côté d'une lutte des classes se déployant dans le cadre de rapports de production
historiquement donnés).
page 312 : (La firme et le
marché sont-ils deux " solutions alternatives ", au sens de solutions
renvoyant à des champs différents ? La firme en réalité baigne dans le marché de
tous côtés, et ce marché fait remonter les exigences de la valeur par tous les canaux
du " commandement d'usine ". J'émets les mêmes réserves sur ta
formulation page 357 : " ... une planification a priori, telle qu'on peut
la voir au sein de la grande entreprise " : cette planification a priori
est en réalité soumise aux ajustements a posteriori propres au marché.
A nouveau page 359
" Marché et organisation sont en effet... des formes contemporaines, liées
l'une à l'autre, alternatives... ". (L'alternative n'est pas, à mon sens
marché-organisation, mais plutôt marché-politis. Pour mieux expliquer ce que je veux
dire, je reproduis ci après la conclusion d'un papier que j'ai écrit récemment pour
" Le Monde des Débats " : " Nous sommes en fait face
à un choix fondamental, qui va au-delà de l'urgence actuelle. Dans la relation de
marché, les individus se font face comme agents privés. Ils créent ainsi un univers qui
leur échappe et dont les tempêtes menacent de les balayer. Mais ces mêmes individus se
font face aussi comme appartenant à la cité, donc comme membres d'un collectif au destin
partagé. Faisons en sorte que la cité l'emporte ! ").
page 358 : " Le rapport de
coordination organisée est supposé " être en germe " dans le
capitalisme, et très précisément dans l'entreprise qui forme l'élément atomistique du
marché " (Une telle vision est indéniablement celle d'Engels, mais est-ce bien
celle de Marx ? J'en doute : quels sont les textes qui l'attestent ?).
page 359 : " Une société
raisonnable suppose une articulation rationnelle entre les deux (marché et
organisation) " (Un tel projet est-il " raisonnable " au-delà
d'une phase transitoire ? Marx a avancé à ce sujet des choses fondamentales, que tu
as très bien rappelé, et qui me paraissent toujours valides).
Tu reprends la question page 361 :
" l'arbitrage " entre les " deux règles de
coopération " (le marché et les " fins communes ") est-il
possible à long terme, alors que le marché remets constamment en question, partout où
il se déploie, les " fins communes " ? D'où aussi mes réserves
sur ta formulation page 367, selon laquelle le capitalisme " ne peut être
dépassé et battu que sur son terrain, qui est celui des formes d'articulation du marché
et de l'organisation " : la relation de marché fait-elle donc désormais
substantiellement partie des perspectives socialistes et communistes ?).
pages 362,363 : " La coopération
discursive caractéristique de l'association immédiate se relaie dans le couple,
antinomique mais indissociable, qui est celui de la médiation marchande et de la
médiation organisationnelle " (Marx dit dans Le Capital, L1, T1, p85
(ES) : "Des objets d'utilité ne deviennent des marchandises que parce qu'ils
sont les produits de travaux privés exécutés indépendamment les uns des autres".
J'en déduis : dans la société socialiste, les rapports marchands reculent jusqu'au
point où l'association des travailleurs a été capable d'abolir les " travaux
privés " (privés en ce qu'ils sont exécutés indépendamment les uns des
autres), jusqu'au point où cette association assure une véritable maîtrise sociale du
processus de production ; dans cette même société, ces rapports marchands sont au
contraire présents dans toute la mesure, inverse, où l'association ne fonctionne pas
vraiment comme telle. Comment rendre compatibles de tels développements avec ta thèse,
qui fait du marché une dimension intrinsèque de l'association ? Par ailleurs, tu
rejettes à plusieurs reprises l'idée " d'abolir les rapports
marchands " ; or, nous savons que le marché recrée constamment les
conditions d'existence du capital. Comment rendre les deux compatibles avec la lutte pour
le communisme ? Ces développements valent aussi pour ton affirmation de la page 449,
selon laquelle le socialisme " se définit par une articulation de marché, de
plan et de coopération immédiate ").
page 374 : (La liberté du travailleur
est-elle celle de changer d'employeur ? Dans mon souvenir, quand dans " Le
Capital " Marx nous dit que le travailleur est libre, c'est à un double
sens : il est libre de moyens de production (ce que tu évoques page 375), mais
l'autre sens, c'est qu'il est libre de tout lien de dépendance personnelle : la
" liberté " est vue ici en opposition à ce qui fonde le rapport de
production précédant historiquement le capitalisme, à savoir la seigneurie).
page 380 : (Je me demande s'il n'y pas ici
un malentendu. Quand, dans le contexte qui est indiqué, Marx parle de " la loi
qui règle l'échange de marchandises ", il n'a pas en vue, à mon avis, une
" loi des échanges ". Je pense qu'il s'agit plutôt de l'analyse à
laquelle Marx s'est livré plus haut dans " Le Capital " de la
" circulation des pôles de la marchandise ". Avant la vente, le
vendeur a la valeur d'usage de cette marchandise, et l'acheteur sa valeur d'échange (sous
forme d'équivalent). Après la vente, l'acheteur dispose de la valeur d'usage et le
vendeur de la valeur d'échange. Le patron, acheteur de la force de travail, dispose de sa
valeur d'usage (la capacité qu'elle a de produire plus de valeur qu'elle ne vaut). Les
règles de l'échange marchand lui reconnaissent le droit d'user de ce qu'il a acheté
comme il l'entend, et dénient au vendeur le droit de faire des commentaires à ce sujet.
Mais le salarié a vendu sa force de travail, et non sa propre personne : le patron a
donc le droit (marchand) d'user la force de travail, mais pas le travailleur. S'il le
fait, c'est du vol, car il s'empare de quelque chose qui ne lui appartient pas, qui n'a
pas été vendu. Il y a bien ici deux droits égaux qui s'affrontent. D'où vient la
difficulté : de ce que la force de travail, qui est quelque chose de tout à fait à
part dans le monde marchand (puisque seule source de la valeur) est traitée, dans le
monde des échanges, comme une vulgaire tomate, qu'on peut consommer, c'est-à-dire
détruire).
page 389 : (Penser que capitalisme et
socialisme appartiennent " à la même période de l'histoire " me
paraît osé. Il faut rappeler que, dans La Critique du Programme de Gotha, Marx
indique: "Entre la société capitaliste et la société communiste, se situe la
période de transformation révolutionnaire de l'une en l'autre ". Par ailleurs
je retrouve mes réserves par rapport à l'une de tes principales thèses :
" bipolarité des formes de la division moderne du travail, soit de la
coordination marchande-interindividuelle et de la coordination
organisationnelle-centrale " : s'agit-il d'une véritable
bipolarité ? la deuxième n'est-elle pas sous la domination de la première,
modelée et remodelée selon ses exigences, au point qu'on peut penser que ce n'est qu'une
des façons qu'a la valeur de manifester sa toute-puissance sur l'ensemble de la
société ?).
page 393 : " Le système
soviétique ne s'analyse ni comme déviation, ni comme une autre forme de capitalisme,
mais comme une expérience historique développée, unilatéralement, à partir de l'autre
pôle de contractualité rationalité, qui est aussi l'autre pôle du système de classes
de la société moderne. " (Une pensée qui me paraît extrêmement riche, qui
ouvre de grandes perspectives. Mais est-elle fondée ? Le marché se développe
" tout seul " : on voit bien comment les rapports marchands
peuvent envahir et transformer une société pré-marchande. Il n'en est pas de même de
" l'autre pôle de contractualité " : il faut des forces
sociales pour imposer " l'organisation ". Lesquelles ?
Pourquoi ? Ta démarche est proprement philosophique, en ce qu'elle repère des
" logiques ". Mais elle saute par-dessus des choses essentielles, qui
sont l'histoire concrète, la caractérisation des forces sociales en présence, etc.
Aboutissons-nous ainsi à une caractérisation de ce qu'a été le régime
soviétique ? J'en doute. Tu dis que le système soviétique " s'analyse
comme une expérience historique développée, unilatéralement, à partir de l'autre
pôle.. ". Cela signifie-t-il que le système soviétique s'est contenté de
privilégier le pôle " organisation " sur le pôle
" valeur ", à l'inverse de ce que fait le capitalisme ? Dans ce
cas, on serait fondé à le penser comme " une autre forme de
capitalisme ", contrairement à ce que tu indiques. Par ailleurs, dans le
" vrai socialisme " l'aspect " organisation " sera
inévitablement mis en avant (cf. Marx, Programme de Gotha, etc) : comment alors, si
on te suis, le distinguer de ce qu'a été l'URSS ?).
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